L’enfance

Grandir à Collioure · 1921 – 1934

De sa naissance à l’obtention de son certificat d’études, Louis Baloffi grandit et se construit dans le Collioure de l’entre-deux-guerres.

Une enfance paisible

Louis Baloffi naît à Collioure le 21 septembre 1921 dans la maison familiale du centre-ville. Cette maison, comme il l’explique, se transmet de génération en génération depuis des siècles dans une famille qui pratique la pêche à Collioure au moins depuis 1462.

Histoire de la famille Baloffi

« C’est des familles de pêcheurs, tous, depuis des siècles et des siècles et des siècles. D’ailleurs j’ai des papiers là, y’a des trucs qu’on a trouvés aux archives départementales là. On était ici, c’était pas la France, c’était en 1462, c’était le roi Jacques Ier de Majorque à l’époque et mon grand-père à l’époque était patron pêcheur déjà et de père en fils… Alors comptez nous sommes en 2000 et quelques, y’a huit siècles qu’on est là quoi (à Collioure). […] Cette maison je suppose, je sais pas exactement, mais elle a au moins 500 ans. Et tout le temps on a vécu là, de père en fils, et tous pêcheurs. »

La communauté Colliourencque

La ville même de Collioure lorsque Louis Baloffi y grandit n’a rien à voir avec celle que nous connaissons aujourd’hui. En effet, avant la Seconde Guerre Mondiale, c’est un petit village de pêcheurs plutôt pauvre, duquel les habitants ne sortaient quasiment pas, si ce n’est pour des obligations militaires ou professionnelles.

Collioure est donc à cette époque un village plutôt calme dans lequel tout le monde se connaît et se donne des surnoms pour se reconnaître. Ainsi, dès son enfance, Louis Baloffi gagne le surnom de « P’tit Louis » qu’il porte toujours aujourd’hui.

Vie sociale à Collioure

Comme P’tit Louis en témoigne, la vie à Collioure, comme dans nombre d’autres villes et villages français de la période s’organise en quatre pôles principaux : l’école, le travail, la vie civile et la religion. Ceux-ci constituent donc l’essentiel de la vie sociale, culturelle et religieuse des Colliourencs. Pour cette raison, le curé, le maire et le pasteur représentent les trois personnalités majeures de Collioure.

Personnalités de Collioure

« Y’avait l’instituteur et puis oui je me rappelle pas tellement va… Ah ! Le curé par exemple aussi c’était une personnalité, et le maire ! Parce que voilà ce qu’il se passait ; les écoles à l’époque, le 14 juillet, défilaient, ils le font je crois encore maintenant. Depuis gosses on se tenait la main et on avait des petits drapeaux et alors on connaissait toujours le maire. Alors les trois personnalités c’est le maire le curé et l’instituteur dans le pays. »

Occupations et amusements

Ainsi, du fait de ces cercles sociaux relativement restreints, la vie à Collioure se fait à l’époque de manière très simple, entre travail, vie de famille et événements ponctuels. C’est une différence notoire avec la vie telle que nous la connaissons de nos jours, dans laquelle nous sommes instantanément informés de tout ce qu’il se passe dans le monde et où les loisirs sont multiples. A Collioure dans les années 1920, les divertissements pour les enfants étaient ceux qu’ils pouvaient trouver dans la ville. Louis Baloffi parle notamment du travail du boucher qui était épié par les enfants de la ville. Ils se ruaient devant son atelier à la sortie de l’école pour le voir découper les bêtes. Les événements météorologiques contribuaient aussi à animer les discussions. A l’hiver 1934, la neige tomba sur Collioure, événement qui est resté gravé dans sa mémoire.

Neige à Collioure

« [Et dans la vie à Collioure est-ce qu’il y a des événements qui vous ont frappé, quand vous étiez jeune, quand vous étiez petit ?] Moi le seul truc que je me rappelle, c’est pas un événement, c’est en 34 quand j’avais déjà 13 ans, le coup de la neige qu’il y a eu à Collioure, c’était le coup le plus fort. Parce qu’on a été mobilisé même les gosses là avec une pelle dans la rue pour faire des tranchées, au mois d’avril 34 ! [Et pourquoi vous avez fait ça?] Parce que la neige avait couvert tout Collioure ! Là c’était un des plus grands événements que j’ai vu ! Toute la population y était, même les enfants de 10, 12 ans, de mon âge, tous les mousses avaient une pelle et, en route, pour faire des tranchées dans les rues. Dans cette rue y’avait plus d’un mètre on voyait pas ! »

Une vie précaire

La vie de Louis Baloffi et plus particulièrement son enfance est marquée par un niveau de vie relativement bas. Effectivement, la plupart des hommes de la petite ville travaillaient en tant que pêcheurs. Ce métier, dur et éreintant, demandait une longue présence en mer chaque jour. Les femmes de Collioure, quand elles le pouvaient, travaillaient dans les magasins de salaison en centre-ville. Elles y préparaient les poissons pêchés par leurs maris.

Vie de famille

Cependant, lorsque ces familles avaient un enfant en bas-âge, ls femmes se voyaient forcées de rester à leur domicile afin de veiller sur eux jusqu’à ce qu’ils puissent être scolarisés. Les salaires des pêcheurs étant plutôt bas, très peu de familles avaient les moyens de payer une nourrice pour prendre soin de leurs enfants. Louis Baloffi explique qu’en plus de cela, sa famille ne pouvait pas toujours payer le pain. Le boulanger attendait alors l’été pour recevoir les paiements des pains donnés aux familles les plus pauvres pendant l’hiver. Autrement, P’tit Louis était obligé d’aller couper lui-même du bois pour le four du boulanger afin d’obtenir un pain.

Pauvreté et achat du pain

« L’activité principale à l’époque c’était la pêche et la vigne, alors… Parce qu’à cette époque-là y’avait pas de chômage, y’avait pas ce qu’il se fait là, y’avait rien. Si tu travaillais pas tu crevais de faim là, alors ils faisaient que ça. Et ils faisaient n’importe quoi, parfois quand il y’avait pas de travail en hiver ils allaient travailler à Port-Vendres parce qu’on voyait débarquer les paquebots qui arrivaient d’Algérie, ou alors à la voie ferrée, ils faisaient n’importe quoi en attendant l’été quoi. [Parce que votre famille n’avait pas beaucoup d’argent ?] Ah bah non j’étais pauvre, vous savez je me rappelle, le pays était pas riche y’avait juste quelques personnes riches. Parce que je me rappelle que ma pauvre mère, elle comme d’autres personnes, allaient au boulanger en hiver, on pouvait pas payer le pain, alors le boulanger le marquait à l’époque, ils appelaient ça la taille, et on payait quand ils allaient à la pêche en été. Ou alors comme les boulangers faisaient le pain au feu de bois à l’époque, j’allais dans la montagne chercher du bois pour porter au boulanger et alors j’avais un pain. C’était terrible hein, c’est pas la vie de maintenant ça n’a rien à voir. »

Travail dans les vignes

En raison de ces salaires modestes, les Colliourencs ajoutaient souvent à leur activité maritime le travail dans les vignes. Ainsi, les jours où les enfants n’étaient pas à l’école, le jeudi et le dimanche et pendant les périodes de vacances scolaires entre fin juillet et le 1er octobre, ils aidaient leurs pères dans les vignes. Cette activité prenait notamment plus de temps pendant les périodes de vendanges, au mois de septembre.

Vue actuelle des vignes à Collioure

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Vue actuelle des vignes de Collioure
Travail dans les vignes

« Parce qu’on n’avait pas la classe le jeudi et le dimanche à l’époque, c’était pas le mercredi et le samedi comme maintenant c’était le jeudi et le dimanche. Et bien le jeudi et le dimanche souvent, on allait avec le père à la vigne ramasser les sarments, mais ça à 10-12 ans hein. [Parce que votre papa avait une vigne, comme tout le monde ici ?] Ah mais oui on avait des vignes nous. »

Ecole et apprentissage

A l’école, Louis Baloffi était un élève sérieux et appliqué. Jusqu’au certificat d’études, il se trouvait toujours classé parmi les trois meilleurs élèves de sa classe.

L’école républicaine

L’école de Collioure se trouvant dans une région où le catalan était encore largement parlé entre les habitants, les élèves discutaient entre eux dans cette langue, qui était leur langue maternelle. Cependant, l’école, durant l’enfance de P’tit Louis, était républicaine. Ainsi se voyait-elle dans l’obligation de transmettre tous les enseignements en français.

Cet aspect créait une dualité dans le rapport entre les élèves et leur professeur. Comme Louis Baloffi l’explique, les élèves parlaient français avec leur instituteur dans leur classe, mais lorsqu’ils le croisaient en ville, les discussions se faisaient naturellement en catalan.

L’école républicaine se voulait aussi non mixte et laïque, contrairement à la vie religieuse très présente à Collioure. Par conséquent, les élèves ne discutaient jamais de religion avec leur instituteur. P’tit Louis affirme même que la seule fois où il a pu entendre parler de religion par un des ses professeurs, cela s’est fait dans le cadre d’un cours d’histoire.

Fin des études

Louis Baloffi obtient donc son certificat d’études à l’âge de quatorze ans, après être passé par quatre différentes sections dans lesquelles il a suivi les enseignements élémentaires : mathématiques ou français, notamment, mais également un enseignement maritime pour le préparer au métier de pêcheur.

Apprentissage à l’école

[Quelles étaient les matières que vous suiviez ?] Calcul, de l’arithmétique comme on l’appelait, l’orthographe, c’était les dictées, le français. Parce qu’il faut dire ce qui est, moi comme tous les copains, on a dû aller à l’école pour apprendre le français, parce qu’on parlait catalan ici, mon grand-père ne savait pas parler français, et on a dû aller à l’école pour apprendre le français. Alors y’avait des cours de français, y’avait calcul, arithmétique on disait, orthographe, français. [Grammaire ?] Ah oui oui y’avait la grammaire, la grammaire, voilà comment on appelait ça. Et puis le samedi, le samedi on faisait des cours d’enseignement maritime. Comme la plupart des gosses devaient aller à la mer, sauf les enfants qui… Disons de riches qui allaient dans les collèges parce qu’on n’avait pas d’argent nous, tout le monde à 13 ans on devait porter les sous à la maison. [Et vous les faisiez où ces enseignements maritimes ?] A l’école ! A la dernière école, au cours supérieur, la dernière classe. Non, dans les petites classes, non, le cours préparatoire, non. [Mais la dernière école, c’était celle qui était à l’emplacement de la nouvelle école ?] Ah bah oui oui, mais toutes elles étaient là les écoles. Y’avait les écoles des garçons et l’école des filles, c’était séparé. [Ah oui, les filles étaient séparées] Ah, non non y’avait pas des filles à l’époque, elles étaient à l’école des garçons. Y’avait cours préparatoire, cours élémentaire, cours moyen et cours supérieur, quatre écoles. Et après y’avait quatre écoles de filles, de l’autre côté. [Et vous les voyiez quand les filles ? Un petit peu avant, pendant la récréation ?] Ah non non c’était bien séparé. [Vous ne pouviez pas vous voir physiquement ?] Ah non non non. [Mais j’imagine que vous les entendiez à la récréation, et que les filles faisaient pareil ?] Non même pas parce que c’était des écoles, ça a été refait hein, c’était des murs comme ça, c’était des forteresses les écoles ! Non non même pas. A la sortie ! A la sortie à 4 h, parce que de 1h à 4h c’était, et le matin de 8 à 11 !

crédits photographique : Lilibox – myfoodbox.blogspot.com